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laient leurs denrées : ici les fromages s’élevaient en piles, là mugissaient des génisses, plus loin de timides brebis bêlaient autour des échoppes, ou allaitaient leurs agneaux sous l’abri des chariots. Nos deux messieurs, à peine arrivés, s’étaient vus entourés des marchands à qui ils avaient affaire, et tout disposés déjà à me traiter comme on fait une ancienne connaissance, ils avaient abandonné à ma protection leur jeune demoiselle. L’hôtel où nous étions descendus était bruyant et encombré de monde. Pour l’en faire sortir, je lui proposai un pèlerinage à la Tour du Lépreux. Après y avoir consenti avec un joyeux empressement, et comme nous nous y acheminions déjà, elle me demanda qui était le Lépreux. Je lui promis qu’elle le saurait bientôt, et, étant entré dans la boutique d’un libraire, j’y achetai le livre de M. de Maistre. Alors nous nous dirigeâmes vers l’agreste enclos où s’élève la vieille tour qu’il a immortalisée ; et, quand nous l’eûmes visité, nous allâmes chercher dans la prairie voisine un ombrage pour nous y asseoir et faire notre lecture. C’étaient des chênes touffus, et non loin quelques bouleaux, ceux-là peut-être auprès desquels le lépreux, ayant vu la jeune femme pencher la tête sur le sein de son époux, sentit son cœur se serrer, et son âme près d’être brisée par un affreux désespoir.

Ma jeune compagne, élevée chez les religieuses du Sacré-Cœur, n’avait guère lu que des livres de piété. Pour la première fois elle écoutait un écrit tout ensemble grave et attachant, dont le style, plein de mouvement et d’éloquence, tantôt pénètre mollement le cœur, tantôt l’étreint et le fait bondir de pitié. Calme d’abord, et presque distraite, elle regardait alternativement cette tour, ces montagnes, ce vallon, jusqu’à ce