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çais sauta sur l’animal, tandis que, demeuré derrière, je le fouettais pour le contraindre à marcher et à nous guider en même temps. Mais, quand nous fûmes arrivés au-dessus d’un plateau ouvert de tous côtés, la mule, se jetant brusquement sur la gauche, se mit à fuir de toute sa vitesse, en tâchant de se débarrasser de son homme. Le Français, bon cavalier, se piqua d’honneur, tint bon, et, au bout de quelques instants, je le perdis de vue. Je demeurai ainsi seul, agité par la plus vive inquiétude, et ne sachant de quel côté me diriger. Après avoir erré quelque temps, je retrouvai les traces que la mule, en descendant, avait laissées empreintes sur la neige, et je pris le parti de les suivre. Ce fut une heureuse idée, car au bout d’un quart d’heure je me trouvai face à face avec un homme qui descendait en suivant ces mêmes traces.

C’était le guide qui courait après sa bête. — Nous avons votre mule, lui criai-je ; mais où est votre monde ? — Où ils sont, où ils sont ? Que sais-je ? Cette neige d’à présent, c’est le soleil après les tempêtes d’il y a une heure. Plus de sentier, plus de vue ; un vent à balayer les sapins, et la foudre aux quatre coins du temps. Nous étions chacun à notre bête, moi pendu à la bouche de la mienne ; on ne s’est plus revu. Par bonheur, j’ai pu tirer vers une caverne, pas bien loin, où j’ai mis leur demoiselle à l’abri, mais bien en peine qu’elle est, la pauvre fille, et encore que sans ma bête je ne l’en peux tirer.

Ces dernières paroles, qui s’étaient fait attendre, me firent passer d’une affreuse inquiétude aux transports de la joie. Non-seulement Émilie était en sûreté, mais j’arrivais merveilleusement à propos. — Bonhomme, lui dis-je, vous allez battre le pays jusqu’à ce que vous les ayez tous retrouvés, et moi je ne bouge pas