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et que les préjugés vous défendront d’y produire… Au surplus, continua-t-il, à Dieu ne plaise que je veuille nuire à celles qui me sont confiées, et que je détourne d’elles un bonheur que peut-être la Providence tenait en réserve à leur infortune et à leurs vertus ! Voyez vous-même, mon bon ami, j’ai voulu vous éclairer et non corrompre votre honnête énergie ; j’ai voulu non pas éteindre ces transports, mais y adjoindre la réflexion, qui seule peut les rendre sages. Que si vous persistez dans ces généreux projets, ne craignez point que je laisse à d’autres le doux soin d’en porter l’annonce, d’en être l’appui fidèle, de vous vouer dès aujourd’hui une affectueuse estime, et d’adresser à Dieu les plus ferventes prières pour une union formée sous d’aussi touchants auspices.

À ces mots, je me jetai dans ses bras, et, l’ayant embrassé, j’achevai de lui ouvrir mon cœur. Il put voir que mes réflexions avaient précédé les siennes, et que ma résolution, pour s’être formée fortuitement, n’en était pas moins fondée sur des convenances vraies, et sur le désir de trouver, dans des attachements et des devoirs, un bonheur que m’avait jusque-là refusé une situation trop heureuse et facile. Bientôt, chassant tous ses scrupules, il finit par s’associer à mes projets avec tout l’entraînement d’un cœur chaud et généreux ; et, comme il arrive lorsqu’une véritable sympathie a fait disparaître les distances d’âge, de condition ou de rang, cet homme vénérable, à qui je parlais pour la première fois de ma vie, m’inspirait le respect d’un père et toute la confiance d’un ancien ami. C’est alors que je commençai à le questionner sur ces deux dames, qui, déjà si liées à mon existence, ne m’étaient pas même connues de nom.