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dent aux associations d’idées, — le chant un peu rauque que venaient de faire entendre mes trois compagnons porta involontairement ma pensée sur le chantre du presbytère. Ce qui me fait croire qu’en cela je ne fus point conduit par une maligne intention, c’est que j’aimais peu songer à cet homme ; et, le plus que je pouvais, je l’écartais de mes souvenirs, dans lesquels il ne figurait que pour en altérer le calme. En effet, avant tout autre, il m’avait fait connaître la peur, la honte, la colère, la haine même et d’autres passions mauvaises, que sans lui j’eusse ignorées longtemps encore.




Il passait pour juste, je le trouvais méchant ; on le disait sévère, je le trouvais brutal ; et j’avais, pour trouver cela, des motifs qui, à la vérité, m’étaient personnels. Par justice, il avait dénoncé plus d’une fois mes délits aux notables, au garde champêtre, à mon protecteur même, me faisant la réputation d’un incorrigible garnement. C’était par sévérité que, joignant le geste au reproche, il m’avait plus d’une fois fait connaître la vigueur de son bras et l’éclat sonore de sa large main. Voilà ce qui influençait mon opinion. Si j’eusse vécu avec lui seul, peut-être j’aurais pris en habitude ces procédés ; et, remarquant que presque jamais je n’étais irrépréhensible, je les eusse regardés comme la conséquence d’une vertueuse indignation. Mais j’avais sous les yeux d’autres exemples, et l’indulgente bonté que je rencontrais dans le cœur d’un autre homme formait un contraste qui me faisait paraître la vertu du chantre tout à fait repoussante. C’est ainsi qu’il y avait pour moi deux justices, deux vertus :