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son aventure, c’était la seule circonstance qu’il eût déjà oubliée.




L’on comprend mieux maintenant avec quelle tristesse je regardais, ce jour-là, trembler la main de mon oncle. J’ajoutais ce signe à plusieurs autres que je rapportais à la même cause : la croissante sobriété de son régime, ses promenades bien plus courtes, et le dimanche, à l’église, un assoupissement contre lequel je le voyais lutter avec effort.

Mais, pendant que je me livrais à ces tristes pensées, mes yeux vinrent à rencontrer la madone… Elle avait été remise à sa place. J’en fus surpris, car je croyais que mon oncle l’avait vendue à certain Israélite qui marchandait ce tableau depuis longtemps. Je me levai machinalement pour aller la considérer.

— Cette madone, dit alors mon oncle… et quelque émotion altéra sa voix.




La seule chose sur laquelle mon oncle m’eût indirectement contrarié, et l’on a vu par quels moyens, c’était mon penchant pour les beaux-arts. Le prix immense qu’il attachait à voir l’unique rejeton de la famille entrer dans la glorieuse carrière de la science avait seul pu l’engager dans ces pratiques, qui, tout innocentes qu’elles étaient, avaient coûté infiniment à sa droiture comme à sa bonté ; et sûrement il s’était reproché, comme une dureté grande, de m’avoir soustrait la vue de la madone. Il n’en fallait pas davantage pour que le trouble et quelque honte agitassent son âme candide et sereine.