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bien ; puis je refermai mes rideaux, bien sûr d’ailleurs que mon oncle, sur l’autorité d’Hippocrate, ne les ouvrirait pas avant dix heures. Après quoi, j’allai m’établir à la fenêtre.

Déjà passaient quelques laitières ; le portier ouvrait, les hirondelles étaient à l’ouvrage. Le retour de la lumière, la fraîcheur du matin, la vue des objets accoutumés, ramenant en moi plus de calme, me faisaient voir mon entreprise sous un aspect moins favorable, et je chancelais presque ; mais, lorsque les impressions de mon songe me revenaient en mémoire, il me semblait que renoncer à ce projet, c’était renoncer sans retour à tout ce qu’il y a de plus doux au monde, et je retrouvais tout mon courage.

Cependant le temps s’écoulait. Je venais de tirer ma montre, quand la vis cria. C’était dix heures moins un quart. Je sortis promptement, et je laissai mon oncle s’installer auprès du mannequin, pendant que j’allai sans bruit m’établir dans la silencieuse bibliothèque.




J’entrai très-doucement, et je courus vers la fenêtre. Debout derrière les vitres, les yeux fixés sur l’extrémité de la rue, à l’endroit où elle devait paraître, je commençai à trembler d’attente et de malaise. Pour comble de malheur, je m’aperçus que ma harangue s’échappait ; et, voulant en retenir les lambeaux, je tombai dans des transpositions si étranges, que j’en étais suffoqué d’émotion. Je me voyais perdu ; et ma peur devint si forte, que je me mis à siffler, comme pour m’en imposer à moi-même. En ce moment l’horloge sonna dix heures, j’en conçus l’espoir qu’une fois dix heures sonnées elle ne viendrait pas ce jour-là, et je