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quelque objet qui en aurait renversé quelque autre. C’était à près de huit heures.




J’étais très-humilié du service que me rendait en cet instant le prisonnier, d’autant plus que ce mensonge hardi après tant de pitié, ce ton facétieux après de si vives souffrances, calmaient subitement tout l’intérêt que m’avait inspiré cet homme. Aussi je suis convaincu que, sans la présence de M. Ratin, j’aurais eu la force de le démentir sur l’heure, et de tout avouer au peintre ; mais il y avait de l’amour dans mon crime, et la haute pudeur de M. Ratin m’apparaissait comme un grand roc sinistre, contre lequel, au moindre soupçon de sa part, j’irais me briser sans retour.

Pendant que ces choses se passaient, la calèche venait d’arriver devant la maison ; déjà la jeune miss et son père montaient l’escalier. — Ma séance ! s’écria le peintre avec désespoir. Prisonnier ! vous nous faites un conte absurde. Voilà un portrait que j’avais adossé à la muraille, et que je trouve tourné à l’extérieur… Sont-ce les chats qui retournent les portraits ?… On est venu, on est venu par la fenêtre… Jules ! qu’avez-vous vu ?…

— Jules ! chassez ce chien, me dit au même instant M. Ratin.

Il faut savoir qu’en cet instant le bel épagneul flairait curieusement le parapluie neuf de M. Ratin. Je m’empressai de le chasser jusque dans les greniers, et par delà, pour laisser au peintre le temps d’oublier sa fatale question.