Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la sueur qu’elles pourraient l’être par la pluie. Aussi la démoralisation se met parmi nous, et, de proche en proche, gagne jusqu’à l’avant-garde, qui s’attarde, s’arrête, et finalement se décompose en traînards, qui bordent les fossés et jonchent les chemins. Ces moments eux-mêmes ont leur douceur : une goutte d’eau, un bout d’ombre, deviennent des agréments sans prix ; et puis, si, solitaire et harassé, l’on peut en pareil cas trouver les instants bien longs, en compagnie nombreuse, l’entretien les abrège et le rire les égaie. Pour l’heure, c’est Henri qui charme nos ennuis. Demeuré à l’arrière, il tâche de rejoindre, mais de quel air ! Brouillé avec son havre-sac, en colère contre son soulier, importuné de son ombre et laissant choir son bâton, qu’il plante là plutôt que d’avoir à se baisser pour le relever. À la fin, il rejoint et tombe sur le premier tertre qui se présente ; il s’y endort d’un grand somme, juste au moment où, la voiture étant venue à passer, un s’attelle, puis deux, puis tous, et Garo seul reste endormi sous son chêne.

Au coucher du soleil, nous arrivons à l’Hôpital, où nous allons loger chez le petit Gamache de l’endroit, M. Genis, et vers neuf heures, comme nous sommes à table, arrive Garo ! Grands éclats de rire. Laissez faire, dit-il, à ce jeu-ci, je vous aurai bientôt rattrapés. Et bien vite il se met à l’œuvre.

Ce matin, nous nous séparons en deux corps d’armée : les coqueluches, qui poursuivront par la plaine, et nous autres, qui allons franchir le col de Samiers. La jonction s’opérera à Faverge.

À peine sommes-nous en route qu’une pauvre hirondelle vient tomber morte à nos pieds. Triste présage. On la relève, et durant qu’on l’examine, il s’échappe de dessous ses ailes deux grosses mouches, qui probablement lui ont donné la mort. Ceci nous fait ressouvenir d’une aventure de lézard, moins tragique, mais plus curieuse, dont nous avons oublié de parler en son lieu.

C’était au sortir de Seyssel. À quelques pas de nous, un lézard se montra sur la route, mais un lézard étrange par l’extraordinaire grosseur de sa tête et par la façon dont il errait sans direction et comme au hasard. En nous approchant, nous eûmes bientôt reconnu que le pauvre animal s’était hasardé à percer une coque de noix, qu’en forçant l’ouverture, il y avait passé la tête, et que la coque lui était demeurée comme un incommode bonnet… Du reste, ce bonnet tenait si bien, que ce ne fut pas sans quelque peine et sans causer quelque souffrance au patient que nous parvînmes à l’en débarrasser. Un cas rare, je l’espère, dans les annales des lézards.