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plimentons sur les beautés de la promenade. « Oui, dit-il, un pays pauvre, mais des populations honnêtes ; les affaires petites, mais sûres. » Nous voilà d’autant plus curieux de savoir quel genre d’affaires fait ce monsieur, lorsque devinant notre pensée : « Je suis tailleur, messieurs. Nous habillons ces vallées. À cette heure, je me rends de bourgade en bicoque et de bicoque en chaumière pour faire choisir des étoffes et pour prendre des mesures. Pendant l’hiver on confectionne la marchandise, et au printemps on l’expédie. Depuis quinze ans, toujours la même chose ; aussi ces pierres me connaissent, » ajoute-t-il en souriant. Après quelque entretien encore, ce monsieur pique des deux, et bientôt nous l’avons perdu de vue.

Après deux heures de marche, une maisonnette se présente, nous y entrons en criant famine. Philémon et Baucis accourent, un vieux et une vieille

......ne marchant qu’avec peine.


Baucis nous met sur la table tout ce qu’elle a, du lait, du fromage, des raisins, des noix et une tête de mouton que l’on s’apprête à diviser en rations. Mais quoi ? la cervelle n’y est pas ! « Attendez, attendez, » dit Baucis en s’éloignant, et, bientôt de retour, elle apporte la cervelle soigneusement ployée dans du papier. Nous nous prenons à rire ; mais elle demeure sérieuse, car, à ses yeux, c’est d’un acte de probité qu’elle vient de s’acquitter. Cependant Philémon, qui s’est éloigné aussi, reparaît en traînant le sac de noix, et lui-même il en remplit nos poches, même après que nous venons de régler le compte de notre dépense. Il y a des ladres, il y a aussi des généreux.

Au sortir de cette chaumière, un homme qui se trouve là offre de nous faire gagner quatre heures sur le chemin que nous nous sommes proposé de suivre, si seulement, laissant Digne sur la gauche, nous voulons couper droit sur Marigé, deux lieues plus loin. Cette proposition nous séduit ; un exprès est envoyé à notre cocher pour qu’il ait à nous courir après, et nous nous engageons dans les pentes d’une montagne. Le sol est ici plus fendillé, plus aride, plus hideux encore que tout ce que nous avons vu. Néanmoins, le paysage est loin de manquer de caractère, et ces vastes nudités ont en réalité plus d’imposante grandeur que la plupart des paysages boisés et fleuris. Nous n’avons vu la Palestine, et en particulier la contrée où est assise Jérusalem, que dans les représentations plus ou moins fidèles de la gravure et des panoramas, mais, en vérité, à plusieurs