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Par les paroles les plus brutales, il exprime franchement tout l’horrible du crime auquel se préparent les hommes qui servent dans l’armée, tout l’abîme d’humiliation dans lequel ils sont précipités en promettant obéissance.

Comme un hypnotiseur hardi, il expérimente le degré d’insensibilité de l’hypnotisé. Il lui applique à la peau un fer rouge ; la peau fume et grésille, mais l’endormi ne se réveille pas.

Cet homme, malade, misérable, ivre de pouvoir, offense par ces paroles tout ce qui peut être sacré pour l’homme moderne, et les chrétiens, les libres penseurs, les hommes instruits, tous, loin de s’indigner de cette offense, ne la remarquent même pas. La dernière, la plus extrême épreuve est proposée aux hommes, dans sa forme la plus grossière. Ils ne remarquent même pas que c’est une épreuve, qu’ils ont un choix à faire ; il leur semble qu’ils n’ont qu’à se soumettre docilement. On croirait que ces paroles insensées qui offensent tout ce que l’homme a de sacré devraient l’indigner ; mais non. Tous les jeunes gens de toute l’Europe sont soumis chaque année à cette épreuve, et, sauf de rares exceptions, ils renient tout ce qu’il y a de sacré et acceptent volontiers la perspective de tirer sur leurs frères ou sur leurs pères pour obéir à l’ordre du premier fou venu, accoutré d’une livrée à galons rouges ou or.

Un sauvage quelconque a toujours quelque chose de sacré pour lequel il est prêt à souffrir. Où donc est ce quelque chose de sacré pour l’homme moderne ? On lui dit : « Tu vas être mon serf, et cette servitude t’obligera à tuer même ton propre frère, — et lui, parfois très instruit, tend tranquillement son cou au harnais. On le revêt d’un accoutrement grotesque, on lui ordonne de sauter, de faire des grimaces, de saluer, de tuer, et il accomplit