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pas. Et les hommes soumis au pouvoir acceptent cette définition, non pas parce qu’ils la croient juste, mais parce qu’ils ne peuvent faire autrement. Ce n’est pas parce que c’est un bien nécessaire et utile aux hommes, et que le contraire serait un mal, mais c’est parce que ceux qui ont le pouvoir le veulent ainsi, que Nice est annexée à la France, l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne, la Bohème à l’Autriche, que la Pologne a été démembrée, que l’Irlande et les Indes sont soumises à l’Angleterre, qu’on fait la guerre à la Chine, qu’on tue les Africains, que les Américains chassent les Chinois, que les Russes oppriment les Juifs, que les propriétaires ruraux accaparent la terre qu’ils ne cultivent pas, et les capitalistes le produit du travail des autres. On arrive donc à ce fait que les uns commettent des violences, non plus au nom de la résistance au mal, mais au nom de leur intérêt ou de leur caprice, et que d’autres subissent la violence, non parce qu’ils voient en elle, comme autrefois, un moyen de les défendre contre le mal, mais parce qu’ils ne peuvent l’éviter.

Si le Romain, l’homme du moyen âge, notre Russe tel que je l’ai connu il y a cinquante ans, étaient absolument convaincus que la violence du pouvoir était nécessaire pour les défendre contre le mal, que les impôts, les dîmes, le servage, la prison, le knout, la déportation, les exécutions, la soldatesque, les guerres sont une absolue nécessité, il est rare de trouver aujourd’hui un homme qui croie que toutes les violences qui se commettent défendent qui que ce soit contre le mal, et qui ne voie pas que la plupart des violences auxquelles il est soumis ou auxquelles il participe sont en elles-mêmes une grande et inutile calamité.

Il n’est pas un homme aujourd’hui qui ne voit combien il est inutile et injuste de prélever des impôts