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a déjà complètement disparu, et tous les peuples (les peuples et non les gouvernements) vivent entre eux dans des relations pacifiques, mutuellement avantageuses et amicales — relations commerciales, industrielles et intellectuelles — et il n’y a aucun sens ni nécessité de les rompre. Il paraîtrait par conséquent que le sentiment vieilli du patriotisme devrait s’abolir de plus en plus et disparaître complètement comme un sentiment superflu, inconciliable avec l’idée déjà entrée dans la vie de la fraternité des hommes de différentes nationalités. Cependant c’est le contraire qui arrive : non seulement ce sentiment vieilli et nuisible continue à exister, mais il s’enflamme de plus en plus.

Les peuples — sans aucune raison, contrairement à leur conscience et à leurs avantages — non seulement sympathisent avec les gouvernements dans leurs attaques contre les autres peuples, dans leurs envahissements des territoires d’autrui et dans leur rétention par la force de ce dont ils se sont déjà emparés, — mais, ils exigent eux-mêmes ces attaques, ces envahissements et ces rétentions violentes, ils s’en réjouissent, ils en sont fiers. Les petites nationalités opprimées, tombées sous le pouvoir des grands États — les Polonais, les Irlandais, les Bohêmes, les Finnois, les Arméniens — réagissant contre le patriotisme des conquérants qui les oppriment, sont tellement gagnées par la contagion de ce même sentiment de patriotisme vieilli, insensé, nuisible et devenu inutile, que toute leur activité s’y est concentrée et qu’en souffrant du patriotisme des peu-