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CHAPITRE XXXIV


Wronsky, en quittant Pétersbourg, avait cédé son grand appartement de la Morskaïa à son ami Pétritzky, son meilleur camarade.

Pétritzky était un jeune lieutenant qui n’avait rien d’illustre : non seulement il n’était pas riche, mais il était endetté jusqu’au cou ; il rentrait ivre tous les soirs, passait une partie de son temps à la salle de police pour cause d’aventures, tantôt drôles et tantôt scandaleuses, et, malgré tout, savait se faire aimer de ses camarades et de ses chefs.

En rentrant chez lui, vers onze heures du matin, Wronsky vit à sa porte une voiture d’isvostchik bien connue ; de la porte à laquelle il sonna, on entendait le rire de plusieurs hommes et le gazouillement d’une voix de femme, puis la voix de Pétritzky, criant à son ordonnance : « Si c’est un de ces misérables, ne laisse pas entrer. »

Wronsky, sans se faire annoncer, passa dans la première pièce.

La baronne Shilton, l’amie de Pétritzky, en robe de satin lilas, son minois éveillé encadré de boucles blondes, faisait le café devant une table ronde, et, semblable à un petit canari, remplissait le salon de son jargon parisien. Pétritzky, en paletot, et le capitaine Kamerowsky, en grand uniforme, étaient assis près d’elle.