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mitié, jetées à lui, comme par hasard, avant le départ. Il se rappelait les poignées de main, les regards, les silences, le son des voix qui lui disaient : Adieu, Mitia ! quand il était déjà en traîneau. Il se rappelait sa franchise brutale, et tout cela avait pour lui quelque chose de touchant. Avant le départ, non seulement les amis, les parents, non seulement les indifférents, mais même les hommes malveillants, antipathiques, tous, comme par enchantement, se trouvaient d’accord pour l’aimer plus fortement, pour lui pardonner, comme avant la confession ou à l’heure de la mort. « Peut-être m’est-il réservé de ne pas revenir du Caucase », pensa-t-il. Et il lui semblait aimer ses amis et d’autres encore, et il s’apitoyait sur lui-même. Mais ce n’est pas l’amitié qui l’attendrissait et troublait son âme à tel point qu’il ne pouvait retenir les paroles insensées qui coulaient spontanément, et ce n’est pas non plus l’amour de la femme (il n’avait encore jamais aimé) qui le mettait en cet état. L’amour égoïste, l’amour vif, juvénile, plein d’espoir pour tout ce qu’il y avait de bon dans son âme (et il lui semblait à ce moment qu’il n’y avait en elle que du bon) le faisait pleurer et prononcer des paroles dépourvues de sens.

Olénine était un jeune homme qui n’avait fini aucun cours, ni servi nulle part (pour la forme seulement il appartenait à une administration quelconque), qui avait dépensé la moitié de sa fortune,