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(Anna en pensée déshabillait cette femme et restait épouvantée de sa laideur) et une fillette au rire faux coururent sur le quai.

— Chez Catherine Andréievna, tout est chez elle, ma tante, cria la fillette.

« Même la fillette est déformée et grimacière », pensa Anna.

Pour ne voir personne elle se leva rapidement et s’assit à l’autre portière du wagon vide.

Un moujik, sale, coiffé d’un bonnet, d’où s’échappaient des cheveux embroussaillés, était en dessous de la portière, penché sur les roues du wagon. « Ce vilain moujik ne m’est pas inconnu », pensa Anna. Aussitôt elle se rappela son rêve. Tremblante de peur, elle se recula à la portière opposée.

Le conducteur ouvrit la porte laissant passer un monsieur et une dame.

— Vous voulez sortir, madame ? demanda-t-il.

Anna ne répondit rien. Le conducteur et les personnes qui entraient ne remarquèrent pas, sous son voile, l’expression d’horreur de son visage. Elle retourna dans son coin et s’assit. Le couple s’assit en face, examinant attentivement mais discrètement sa toilette. Le mari et la femme horripilaient Anna. Le mari lui demanda l’autorisation de fumer ; non qu’il eût précisément le désir de fumer mais pour engager la conversation avec elle. Ayant reçu son assentiment, il se mit à causer avec sa femme, en français, bien qu’il en eût encore