Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait peur de regarder. Envisager les pensées et les sentiments d’un autre être lui était un acte moral étranger, il le considérait comme quelque chose de nuisible et de dangereux. « Et le plus terrible, pensa-t-il, c’est que c’est peut-être maintenant, au moment où je touche au but de mon œuvre (il pensait au projet de loi qu’il était en train de faire passer), alors que j’ai besoin de tout mon calme, de toute ma force morale, que tombe sur moi ce trouble insensé. Mais que faire ? Je ne suis pas de ces gens qui n’ont pas la force de regarder en face les ennuis et les dangers ! Je dois réfléchir, décider et agir », termina-t-il à haute voix.

« Ses sentiments, ce qui se passe ou peut se passer dans son âme, c’est affaire de sa conscience et cela relève de la religion », se dit-il soudain, soulagé d’avoir trouvé cette section du code à laquelle appartenait la nouvelle circonstance qui l’occupait.

« Ainsi, se dit-il, la question de ses sentiments relève de sa conscience, où je n’ai rien à voir, et mon devoir est très clairement défini. Comme chef de la famille, je suis obligé de la guider, et c’est pourquoi j’ai quelque responsabilité ; je dois lui montrer le danger que je vois, l’en garantir, même en usant de mon autorité ». Et dans la tête d’Alexis Alexandrovitch s’élaborait tout ce qu’il dirait à sa femme. En y réfléchissant, il regrettait de devoir dépenser son temps et son esprit aux choses qui