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La comtesse Nordston alla trouver Korsounskï avec qui elle devait danser le cotillon et le pria d’inviter Kitty.

Kitty dansait en premier, et, par bonheur pour elle, elle n’avait pas à causer, parce que son cavalier, obligé de diriger, devait courir sans cesse pour donner des ordres. Vronskï et Anna étaient assis presque en face d’elle. Ils étaient sous ses yeux, elle les voyait de près quand ils se rencontraient pendant la danse, et plus elle les voyait, plus elle était convaincue de son malheur. Elle comprenait qu’ils s’isolaient, que rien n’existait plus pour eux dans cette salle comble ; et, sur le visage de Vronskï toujours si calme et si assuré, elle aperçut de nouveau cette expression de soumission qui l’avait frappée et qui rappelait celle d’un chien intelligent qui se sent coupable. Lorsque Anna souriait, il lui répondait en souriant aussi ; devenait-elle pensive, il reprenait son sérieux. Une force, en quelque sorte surhumaine, attirait les yeux de Kitty sur le visage d’Anna. Elle était ravissante dans sa robe noire, si simple ; tout en elle, ses bras ronds ornés de bracelets, son cou ferme entouré d’un rang de perles, ses cheveux bouclés légèrement dérangés, les mouvements gracieux et souples de ses pieds et de ses mains, son beau visage plein d’animation, tout en elle était charmant ; mais il y avait quelque chose de terrible et de cruel dans ce charme.

Kitty l’admirait encore plus qu’auparavant et sa