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fort souvent avec elle. Il fréquentait sa famille, il lui parlait comme on parle ordinairement dans le monde, de banalités quelconques mais auxquelles, sans y penser, il attachait un sens particulier pour elle, bien qu’il ne lui dît rien qu’il ne put dire devant tout le monde, il la sentait de plus en plus attachée à lui, et à mesure qu’il le constatait, il en éprouvait plus de plaisir et ses sentiments pour elle devenaient plus tendres. Il ne savait pas que sa façon d’agir envers Kitty avait un nom défini, que cela s’appelle séduire une jeune fille sans avoir l’intention de l’épouser, et que cette séduction malhonnête est fort usitée des jeunes gens qui, comme lui, cherchent à briller. Il lui semblait avoir le premier découvert ce plaisir, et il jouissait de sa découverte.

S’il avait pu entendre la conversation du prince et de la princesse ce soir-là, s’il avait pu se mettre à la place de la famille et comprendre que Kitty serait malheureuse si elle ne l’épousait pas, il eût été très étonné et n’y aurait pu croire. Il ne s’imaginait pas que ce qui lui causait un si vif plaisir à lui-même pouvait avoir des conséquences fâcheuses en général, et que la jeune fille risquait d’en être affectée. Encore moins songeait-il à se marier. Le mariage ne lui était encore jamais apparu comme une possibilité. Non seulement il n’aimait pas la vie de famille, mais il réprouvait surtout le rôle de mari, qui, selon l’opinion du