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soleil. Il ouvrit ses rideaux. La lumière matinale inondait les fenêtres et frappait les draperies du lit dont la blancheur devenait éclatante. Le jeune homme regarda autour de lui, avec cette vague surprise que laisse le premier réveil dans un milieu étranger. L’aspect provincial de son logis l’amusa. Il fit lestement sa toilette tout en écoutant les rumeurs de la rue et soudain le son lointain d’un biniou le fit tressaillir.

Il ouvrit la fenêtre.

Au bout de la rue que les maisons apposées coupaient à demi d’une ombre nette, la place de l’Église était pleine de soleil. Le vieux clocher pointait droit dans l’azur glorieux du matin et sous la couronne du porche, lentement, s’engouffraient des robes noires et des mousselines flottantes. À gauche, la rue s’ouvrait sur l’infini de la lande noyée dans une vapeur bleuâtre que surmontait la ligne sombre de la mer. Des enfants endimanchés, tenant la jupe des vieilles, criaient au seuil des maisons ; des hommes passaient, fiers dans leurs vestes noires garnies de velours ; et tantôt assourdie, tantôt emportée par le vent du large qui soufflait dans l’espace sa fraîcheur salée, la plainte harmonieuse du biniou semblait faite de tous les murmures, de tous les soupirs, de toutes les voix de la terre armoricaine.

Le biniou se tut et Robert quitta la fenêtre. Mais