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autre passe, de ce lieu d’épreuve, sur les laques d’un cabinet stable, non loin des écrins fermés pour la prochaine fête... » Je le maintiens, j’ai eu un lecteur, — lectrice. Et pourquoi n’en aurais-je pas deux ? Pourquoi le second ne serait-il pas vous ? Écrire fut l’œuvre de ma patience, que lire soit l’œuvre de la vôtre, que le poème aussi vienne de vous !

Sur maint charme de paysage,
O sœur, y comparant les tiens.

Tout cela s’adresse à une femme. Comme souvent chez Mallarmé, l’obscurité provient des allusions personnelles. Mais ici s’introduit dans la Prose le thème d’Hérodiade et de l’Après-Midi, la simultanéité de ce qui dans la Maison du Berger est succession : la même musique et les mêmes mots mêlent la femme et le poème, le rêve d’amour figure le rêve d’art et le rêve d’art symbolise le rêve d’amour.

On peut lire cette stance à la lumière de la Déclaration Foraine. La femme de la Prose est peut-être la même que celle de la Déclaration. « Toute femme, et j’en sais une qui voit clair ici, m’exempte de l’effort à proférer un vocable. » L’allusion relie le poème à la vie du poète, en ses précises circonstances. « Madame seule tu sais Qui », appelle-t-il plus loin la dame. Et c’est aussi sur les « charmes de paysage » de la Prose qu’il faut répandre « le secret de ce qu’avait su faire avec ce lieu sans rêve l’initiative d’une contemporaine de nos soirs[1] ».

Et aussi et surtout, sont mélangés d’indiscernable manière, sous les traits de cette présence vague, une existence réelle et une Idée de la poésie, ou quelque Idée, simplement, de méditation solitaire et de songe. Ainsi dans Crayonné au Théâtre[2], il se rappelle allant à tort « au spectacle avec son Ame, with Psyche, my soul »

  1. Divagations, p 30.
  2. Divagations, p. 153, 155.