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compact et dense, est plein de jour, d’air, de bleu, comme une tour gothique aux grandes baies. Il aime parfois le vers à monosyllabes nombreux où il y a plus de jeu, où les syllabes séparées, non liées et raidies en longs mots préexistants, sont plus souples et plus ductiles pour former le mot unique, incantatoire, du vers,

Et laisse un bloc boueux du blanc couple nageur,

(Le Guignon.)

Les poils blancs et les os de la maigre figure.

(Les Fenêtres.)

Non loin de trois grands cils d’émeraude, roseaux

(Las de l’amer repos.)

Nuit blanche de glaçons et de neige cruelle.

(Hérodiade.)

Lys ! et l’un de vous tous par l’ingénuité.

(L’Après-Midi.)

J’offre ma coupe vide où souffre un monstre d’or.

(Toast Funèbre.)

Son alexandrin est le vers brisé d’Hugo, de Banville, de Leconte de Lisle, de Hérédia, — tel qu’il s’oppose au vers resté classique de Lamartine, de Baudelaire, de Sully-Prudhomme.

Il manie de façon hardie, mais impeccable, le rejet. Comme tous les poètes du Parnasse il n’emploie presque jamais le faux vers de dix-huit syllabes, fait d’un vers à hémistiches nets que suit un enjambement de six syllabes : rejet de Ronsard, justement condamné par Malherbe, et auquel Victor Hugo, après en avoir usé dans sa première période, renonce à peu près plus tard. J’en trouve pourtant un exemple dans les mauvais vers que Mallarmé met dans la bouche de la Nourrice d’Hérodiade, et qui tranchent si fâcheusement sur des tirades éclatantes.