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baptême qui l’en lavera. Flaubert rêvait et commença un Dictionnaire des Idées reçues, dont il disait : « Il faudrait qu’une fois qu’on l’aurait lu, on n’osât plus parler, de peur de dire naturellement une phrase qui s’y trouve[1]. » Il semble que toujours Mallarmé sur sa table ait, pour le glacer, la place de ce Dictionnaire : « On ne doit s’attarder même à l’éternel plus que l’occasion d’y puiser ; mais, je précise, atteindre tel style propre autant qu’il faut pour illustrer un des aspects et ce filon de la langue : sitôt recommencer, autrement, en écolier, quand le risque gagnait d’un pédant, — ainsi déconcertant au haussement d’épaules la génuflexion par certains essayée[2]. »

Certes, ce renouvellement perpétuel n’a rien d’humain. Mallarmé néanmoins en donne un équivalent par la force de création continuée qui soutient sa prose et ses vers. S’il écrivit peu il se renouvela très souvent. Les poèmes du Premier Parnasse, Hérodiade, l’Après-Midi d’un Faune, les Sonnets, le Phénomène futur, le Mystère dans les Lettres, Un coup de Dés, attestent un effort inquiet pour échapper, sitôt réalisé, à tout mode d’art qui risquerait de l’emprisonner, et, en s’imitant, d’autoriser autrui à l’imiter. La personnalité de l’art, l’horreur de l’inspiration reçue aussi bien que de celle communiquée, il les a poussées, elles aussi, à leur extrémité absolue, à leur hyperbole de poésie pure.

Il voulait que chaque mot naquît, non d’une langue où des milliers d’emplois l’avaient usé, mais, repris avec un sens neuf, de l’Idée même du poème. Il prétendit, à une époque de raffinement et d’érudition, rendre au poète son nom et sa fonction de créateur[3].

  1. Correspondance, t. II, p. 158.
  2. Divagations, p. 339.
  3. Il faut être ignorant comme un maître d’école
    Pour se flatter de dire une seule parole
    Que personne ici-bas n’ait pu dire avant vous.

    Ce qu’écrit Musset est un point de vue qui balance, après tout, celui de Mallarmé. Cette originalité pure, Mallarmé n’a pu l’at-