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question d’heure, en effet, étrange et de grand intérêt mais qu’ont occasion de se poser peu d’hommes ici-bas, à savoir que peut-être lui ne serait point venu à la sienne, pour que le conflit fût tel. Si ! à considérer l’Histoire il avait été ponctuel, devant l’assignation du sort, nullement intempestif, ni répréhensible ; car ce n’est pas contemporainement à une époque, aucunement, que doivent, pour exalter le sens, advenir ceux que leur destin chargea d’en être à nu l’expression ; ils sont projetés maint siècle au delà, stupéfaits, à témoigner de ce qui, normal à l’instant même, vit tard magnifiquement par le regret et trouvera dans l’exil de leur nostalgique esprit tourné vers le passé, sa vision pure[1] ».

Dernière phrase qui mettrait son inscription somptueuse sur toute l’œuvre d’un Chateaubriand, et qui peut-être, selon une image qu’aimait Mallarmé, figure « en maint rameau subtil demeuré les vrais bois mêmes » l’ombre extrême du grand arbre breton. L’Idée sur ses formes déploie le Temps, le dispose et le façonne comme un lin. L’expression des choses implique un ordre différent de celui que figure la succession brute des choses ; elle exige, par delà le temps donné, le rétablissement du temps vrai. L’expression pure d’un moment de la durée réside dans un autre moment, celui où il n’est plus, où il s’est transfiguré par son absence même en une présence surnaturelle, par sa nostalgie en une réalité idéale. Et aucun nom ne pouvait comme preuve être invoqué plus dignement que celui de l’autre gentilhomme breton, l’auteur d’Axël, d’Akedysseril et de Vera. Ce sentiment original de la durée se relie harmonieusement à l’idéalisme de Mallarmé et à sa pensée de l’absence : tous trois ne sont que les synonymes d’un état que l’on doit, pour le comprendre, diviser, répartir à des places distantes, où il soutient de la même trame reconnue notre intelligence du Poète.

  1. Villiers, p. 44.