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siècles comme une île). Aussi les Athéniens finissent-ils par poser ce principe que les îles grecques leur appartiennent de droit. Dans la guerre de Sicile tous les insulaires doriens et ioniens doivent s’armer pour Athènes. Parmi les insulaires voisins du Péloponèse « les Céphaloniens et les Zacynthiens, dit Thucydide, étaient indépendants. Mais comme insulaires il leur fallait accompagner les Athéniens parce que ceux-ci étaient maîtres de la mer » (VII57). Maîtres par conséquent des îles. Les visées sur la grande île de Sicile, drame central de la guerre du Péloponèse, prennent place dans la logique de cette guerre insulaire.

La conquête ou la domination des grandes îles était pour la thalassocratie athénienne une nécessité aussi vitale que l’avait été jadis pour les Spartiates la conquête de la Messénie. Et pour deux raisons : parce que les îles appartiennent de droit à la puissance maîtresse de la mer, parce que ces îles étaient elles-mêmes le siège de marines rivales.

Il y a pourtant une exception curieuse. La Crète a été, aux temps préhomériques, la tête de la grande thalassocratie minoenne ; elle a étendu sur la mer Égée la paix de Minos, elle a mis en relations la Grèce avec l’Égypte et l’Orient. À l’époque de la guerre du Péloponèse, il y a longtemps qu’elle a disparu de l’histoire : c’est une sorte d’Achaïe maritime partagée en cités paisibles qui gardent intacte la vieille discipline dorienne, et qui fourniront à Platon une bonne partie des traits politiques qu’il oppose à ceux de l’État gonflé d’humeurs. Jadis autel central des navigations d’Orient, elle est devenue comme notre Massif Central un môle qui sépare et qui fait s’écouler à part deux écheveaux divergents de routes. La dorisation du pays, son manque