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laisser l’Attique ouverte à l’ennemi et se confier à la ville maritime. Mais alors la ville maritime n’est plus seulement cette ville aux murailles de bois, la flotte où les Athéniens enfermèrent jadis leur patrie et leurs dieux. Elle comporte avec la flotte tout ce que relie, protège, approvisionne la flotte : les îles tributaires, le Pirée, Athènes, unie au Pirée par les Longs Murs : « Si nous étions insulaires, qu’y aurait-il de plus inexpugnables que nous ? Il faut donc en fait, visant dans nos résolutions le plus possible à cet idéal, que nous abandonnions campagne et maisons pour prendre la seule garde de la mer et de la cité » (I, 143). À peine la guerre a-t-elle commencé qu’au centre de l’histoire grecque et de la Méditerranée orientale, microcosme de l’histoire planétaire et océanique d’aujourd’hui, se posent l’être, l’ambition et les luttes d’une thalassocratie insulaire.

Comme l’a déjà remarqué Thucydide au sujet de l’empire d’Agamemnon (I, 15), îles et flottes s’impliquent. Les îles sont donc nécessairement conquises par les villes grecques pourvues de grandes flottes. Pour garder une île, il suffit d’être maître de la mer, tandis que, pour garder une côte, il faut des forces de terre contre les populations de l’intérieur. C’est l’armée d’Alexandre, et non la flotte d’Athènes, qui donneront définitivement l’Ionie à la Grèce.

Si les flottes servent à conquérir et à tenir les îles, la maîtrise de la mer engage sans cesse à la conquête d’îles nouvelles. Aujourd’hui toutes les grandes îles du globe (sauf celles du Japon) et la plupart des petites appartiennent aux thalassocraties britannique et hollandaise (la presqu’île de l’Inde collée à des chaînes inaccessibles et à des passes surveillées s’est comportée depuis deux