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celle-là n’y figure pas. C’est par une série de raisonnements et par la comparaison de cette guerre générale avec les guerres générales modernes que nous sommes amenés à regarder comme réelles et capitales ces causes économiques. Et nous nous comportons alors avec le livre de Thucydide à peu près comme Thucydide lui-même s’est comporté avec le récit homérique de la guerre de Troie. Il a cherché derrière les histoires dramatiques de rivalités personnelles et de conflits ethniques une réalité de puissance matérielle et politique, et il a trouvé que la guerre de Troie était une guerre économique et maritime, la plus forte marine se trouvant placée automatiquement, de leur bon gré ou par force, à la tête des Grecs, et portant la guerre là où l’exigeaient les intérêts d’une thalassocratie. Quand Bérard rattache l’importance de Troie et de la guerre de Troie à sa loi des isthmes, il continue à la lumière de la géographie l’explication de Thucydide. Mais voici que Thucydide, ayant mis en lumière cette cause de la guerre de Troie, ne songe point à donner une cause pareille à la guerre contemporaine qu’il raconte et qu’il a suivie vingt-sept ans dans tout son détail. Serait-ce que cette cause n’existe pas ? Mais on reconnaît aujourd’hui qu’elle nous fournit seule un fil conducteur suivi, qu’elle explique seule la politique athénienne, le transfert de la guerre à des points comme Corcyre, Amphipolis, Syracuse. Alors ?

Alors nous sommes simplement en présence d’une des lois ordinaires et nécessaires de l’histoire. De loin, avec le recul du passé, une grande guerre nous apparaît comme nécessaire, et lourde de la même impassible fatalité qu’un accident géologique. C’est une guerre finie, qui a cessé de nous intéresser, que nous ne songeons plus à