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la vocation de la mer s’éveille après un temps d’isolement insulaire et d’économie rurale. C’est le cas d’Athènes comme celui de l’Espagne, de l’Angleterre et du Japon. Mais comme l’Espagne, et au contraire de l’Angleterre et du Japon, Athènes n’est pas une île. Comme l’Espagne et surtout comme la France, elle est prise un moment entre une destinée maritime et une destinée continentale ; davantage inclinée vers la première que vers la seconde, elle ne connut pas dans la Béotie une Messénie à conquérir.

Les Corinthiens au contraire tiennent dans le Péloponèse une place analogue à celle des Phéniciens dans l’empire perse, à celle que les Grecs obtinrent en Égypte sous la dynastie saïte, à celle que les Vénitiens et les Hollandais remplirent pour les États continentaux de l’Europe centrale. Un peuple continental a besoin chez les anciens de faire un accord avec un peuple maritime, « soit pour l’exportation de ses denrées, soit pour l’échange des produits que la mer fournit au continent » (I, 120). Les Corinthiens ne sont pas, à proprement parler sinon par une chance précaire, thalassocrates, mais courtiers de mer au service lucratif des continentaux.

Ici se pose un des problèmes les plus curieux de la guerre du Péloponèse. Par l’exposé de Thucydide nous savons à n’en pas douter qu’une des causes principales de cette guerre fut la rivalité commerciale, maritime, coloniale de Corinthe et d’Athènes. Nous le savons par son exposé, c’est-à-dire par les faits qu’il raconte, et aussi par notre interprétation des discours, mais non par son énumération des causes de la guerre, puisque