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anarchie spontanée autour du démagogue. À Salamine l’homme de la mer, Thémistocle, fait autour de lui, dans le plus grand péril, par son coup d’œil et son audace, l’ordre, l’obéissance. Et la constitution de l’empire athénien, avec le peuple-chef qui commande et les peuples tributaires qui sont commandés, réalise une sorte de monarchie, tandis que la ligue péloponésienne, ennemie des démocrates, mais où les grandes cités délibèrent sur le pied d’égalité, présente par là certaine faiblesse démocratique. Périclès, lorsqu’il développe les grandes lignes de la guerre future, fait remarquer que ce qui manquera au Péloponèse ce sera cette unité de direction et d’efforts ; il rend sensibles cette irrésolution et ces intérêts divergents que les Péloponésiens avaient déjà manifestés à Salamine : « N’ayant pas de conseil unique, les Péloponésiens ne peuvent rien exécuter rapidement. Égaux en suffrage et différents en origine, ils poursuivent chacun leur avantage, d’où l’impossibilité de rien achever… Chacun croit que sa négligence importe peu et qu’un autre se débrouillera à sa place ». (I, 141).

Ainsi la ville de bois, avec les nécessités qu’elle implique, est la cheville ouvrière d’Athènes. Toutes les batailles navales que raconte Thucydide mettent en relief l’habileté professionnelle et le courage obstiné des matelots athéniens. Le système du triérarque responsable, pris parmi les riches, et de l’équipage de thètes, ce mélange d’aristocratie et de démocratie navales, donne d’excellents résultats. Mais le jour où la démocratie l’emporte à bord, où la ville de bois devient une cité politique menée par une agora, tout est perdu. Cela commence après l’expédition de Sicile. Les vieux équipages professionnels qui faisaient la force de la