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les hommes ensuite. Les vaisseaux sont montés en partie par des matelots étrangers. « La puissance des Athéniens est mercenaire bien plus que nationale ». Le jour où la puissance rivale aura à sa disposition les trésors de Tissapherne et de Pharnabaze, on se débauchera ses marins à coup de statères ou de dariques, comme on se débauche ses soldats dans l’Italie de Sforza ou l’Allemagne de Wallenstein.

Démocratie ou ploutocratie paraissent de mauvaises conditions pour s’embarquer dans une guerre décisive, mais les nécessités de la marine viennent juste à point tempérer ce que l’une et l’autre présenteraient de dangereux. La marine a deux exigences, l’une et l’autre peu démocratiques, mais auxquelles doit se soumettre, si elle veut être, une démocratie maritime : c’est la continuité d’efforts et l’unité de commandement.

Périclès, dans le discours que lui prête Thucydide, formule la loi d’après laquelle une marine ne s’improvise pas, se développe dans une durée, exige une tradition serrée et tendue : « Vous-mêmes qui vous êtes appliqués à la science navale depuis les guerres médiques, ne l’avez pas encore amenée à sa perfection… La marine est affaire de pratique, comme le reste ; elle n’admet pas d’être traitée accessoirement et par occasion, mais bien plutôt c’est elle qui n’admet aucune occupation accessoire » (I, 142). La marine relève d’Athéna Ergané. Elle implique, du haut en bas, une qualité particulière de labeur professionnel, une soumission naturelle à la compétence du pilote ou du chef, un enchaînement solide de coutumes contrôlées et de perfectionnement.

La marine donne également à un haut degré le sens de l’unité de direction. Dans la tempête il y a une discipline spontanée autour du pilote, comme à l’agora une