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si pleine, si puissamment composée par le génie épique immanent de la Grèce, que Napoléon, en se rendant sur le Bellérophon, s’en est enveloppé comme d’une image inégalée, ainsi qu’il versait sur le roi de Rome l’antique larme du nom d’Astyanax.

C’est un exemple de mutation brusque, analogue si on veut à ceux de la Russie au xviiie siècle et du Japon au xixe. Évidemment des historiens se trouvent toujours pour montrer que ces mutations brusques ne sont qu’apparentes, mais n’exagérons ni dans un sens ni dans l’autre. Quand nous-mêmes changeons, pouvons-nous dire si notre changement est une mutation brusque ou une évolution naturelle ? et puisque les deux raisonnements nous paraissent, lorsqu’il s’agit de nous-mêmes, aussi vraisemblables, que sera-ce lorsqu’il s’agira de faits aussi complexes que ceux de l’histoire ! Mais enfin c’est un fait que la puissance athénienne jaillit tout d’un coup après Mycale, pousse sur le sol, chaud encore de l’incendie, d’une façon aussi miraculeuse que l’olivier sacré.

Dès l’époque de Thémistocle, dès sa rivalité avec Aristide, cette politique maritime et conquérante d’Athènes est liée à la démocratie. Elle a pour elle tous les thètes qui servent sur les vaisseaux, y trafiquent, y ont une solde. Elle a contre elle beaucoup des propriétaires grands et petits, attachés à la constitution de la Grèce en cités, favorables à l’entente avec Sparte et à l’équilibre hellénique.

Ainsi, unie à la démocratie, elle l’est à la richesse mobilière, et, fatalement, à la ploutocratie. L’argent coule abondamment à Athènes, argent des tributaires qui devient argent public, argent des mines, argent du commerce. Avec l’argent, on a tout, le matériel d’abord,