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royale pour la faire foudroyer par les dieux, le réalisme et le sang-froid de Thucydide la voient incorporée à l’ordinaire de l’homme et aux nécessités politiques des États. Elle est donnée comme leur puissance de guerre à te thalassocratie athénienne et à la ligue péloponésienne. Elle porte un nom précis : c’est la nature propre de l’homme, l’ἀνθρώπειον. La nature humaine, avec la majoration qu’elle reçoit de la vie politique, voilà la cause suprême derrière laquelle il n’y a plus rien à chercher, pas plus que derrière les atomes de Démocrite.

Cette nature, le Voltaire de l’Essai la mettra en scène pour la railler, pour tirer en elle des fils de marionnettes, découpant d’ailleurs ses marionnettes avec un sens étonnamment limpide du schématisme historique. Thucydide regarde les passions, l’aveuglement, le fanatisme, comme il a regardé la peste, en homme qui en fut atteint lui-même et qui l’a observée pour qu’on la connût mieux, ou comme une suite inévitable de la qualité d’homme et de la le politique, et qu’il est plus sain de comprendre lucidement que de juger précipitamment. La seule marque que l’on a maîtrisé les passions, c’est parler d’elles sans passion.

L’histoire d’Hérodote repose sur ce principe que la vertu est, pour les États comme pour les individus, une force et une sauvegarde. Pour les États comme pour les individus il importe de se concilier la faveur des dieux. Les prêtres de Delphes, patrons de l’historien et administrateurs de cette faveur divine, fournissent à Hérodote les exemples et les anecdotes à l’appui. Crésus a comblé de présents l’oracle d’Apollon. Quand il perd son royaume et sa liberté, il se plaint vivement de l’ingratitude du dieu. Mais l’oracle lui explique que la