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au Cap, puis à Chypre, puis en Égypte, puis en Perse, demain peut-être à Constantinople et à Revel.

Il y a là une sorte d’ἀνάγκη politique qui remplace l’ἀνάγκη théologique d’Hérodote. La guerre est inévitable parce que l’agrandissement continuel de la plus grande puissance maritime est inévitable, parce que la défiance de cet agrandissement et la barrière mise, au moment qui lui semble le plus favorable, par le plus grand état militaire, sont inévitables. On touche les éléments d’Euclide de l’histoire[1].

Telles sont les causes de la guerre. Elles sont données dans une nature humaine, dans une nature politique, dans une nature géographique, c’est-à-dire qu’elles dépassent infiniment telle cause locale et momentanée que l’on est toujours, selon l’idée ou la passion qui nous anime, tenté d’isoler. Mais l’art historique consiste précisément à discerner dans cet organisme de causes, dans cette nature, les membres et les figures que sont les motifs, les responsabilités, les prétextes. Et aujourd’hui l’art de Thucydide peut servir d’école : l’historien de la grande guerre ne le méditera jamais assez, à l’exemple d’Ingres qui dans ses dernières années nourrissait encore en copiant des dessins de Holbein la perfection de son métier.

« Je crois que le véritable motif, et aussi le moins avoué, ce fut l’accroissement de la puissance des Athéniens et la crainte qu’elle inspirait aux Lacédémoniens, les forçant ainsi d’entrer en guerre (ἀναγκάσαι ἐς

  1. Voir, à la fin du volume, la note 1.