Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

battu ensemble, car ces deux cités avaient paru puissantes entre toutes, l’une sur terre, l’autre par ses vaisseaux. Pendant quelque temps elles marchèrent d’accord, puis elles se brouillèrent et entrèrent en lutte, soutenues par leurs alliés » (I, 18).

Épure géométrique et loi constante : les choses ne peuvent se passer autrement, de par le jeu des passions humaines. Les forces de coalition contre un ennemi survivent à la défaite de l’ennemi et nourrissent au sein même de cette coalition deux coalitions rivales : c’est l’heure alors de Tissapherne et de Talleyrand.

La coalition s’étant formée autour de la plus grande puissance financière et maritime, il arrive que, dès que le but a été atteint, dans cette coalition deux sentiments s’établissent, deux passions jouent : chez cette plus grande puissance, la conscience d’un droit à l’hégémonie, droit fondé sur sa force et sur les services rendus ; chez les autres puissances la défiance soupçonneuse de cette hégémonie, contre laquelle elles tendent à se grouper autour de la plus grande puissance militaire et continentale.

Ainsi la cause essentielle de la guerre c’est la volonté d’hégémonie liée à la plus grande puissance financière et maritime, et qui lui est imposée par son être même, et que ses forces morales sont impuissantes à arrêter. Il n’y a peut-être pas dans le livre de Thucydide de mot qui porte un plus grand poids de vérité historique et qui ouvre une plus grande profondeur de κτῆμα ἐς ἀεί ici que celui qu’il met dans la bouche d’Alcibiade partant pour l’expédition de Sicile : « Nous ne sommes pas libres de modérer à notre gré notre volonté de commander ». C’est le cas de toute puissance essentiellement maritime. L’occupation des Indes a obligé l’Angleterre à s’installer