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reproduire au vrai un discours, une technique analogue, contemporaine de la grande sculpture attique, et qui apparaît à la fois avec des caractères semblables dans ces trois fruits sur la même branche que sont les discours de Thucydide, les entretiens socratiques, et la tragédie athénienne.

Le mot de Thucydide : « J’ai écrit ces discours à la manière dont il me semblait que leurs auteurs auraient parlé pour dire ce qui était le plus à propos » (I, 22), conviendrait aussi bien aux dialogues de Platon et à la tragédie de Sophocle. Mais plus précisément, de même que la sculpture a pour objet de réaliser l’idée claire ou plutôt l’idée lumineuse du corps humain, la tragédie, le dialogue et le discours réalisent avec leurs moyens propres, en la même lumière, la première l’idée de la destinée humaine, le second l’idée de la recherche philosophique, et le dernier l’idée de cause historique. Et tous trois sont amenés à employer les mêmes procédés qui comportent deux temps : abstraire cette idée, et la faire vivre par des hommes.

L’idée de la destinée tragique, c’est-à-dire la mise face à face, en pleine clarté, de l’homme et des puissances dont il dépend, est offerte aux Grecs par leur histoire légendaire. Les récits touchant les familles divines, héroïques ou royales fournissent un schéma, un motif musical, et l’œuvre du poète tragique consiste à donner à ce schéma, à ce motif une durée réelle, marquée et mesurée par des rythmes, constituée par la vie sous le masque dionysiaque de personnages de chair et d’os : de la scène, ces personnages se relient par le plan incliné du chœur à la foule qui les écoute, à l’humanité qui les encadre et les délègue. Le récit épique, l’épopée homérique animaient dans leur tableau cette même idée de la