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sible, mais ce plus possible ne va peut-être pas très loin. En tout cas, si nous voulons doser exactement cette vérité, nous restons en plein mystère. Quelle trace écrite, précise laissaient les discours prononcés à la tribune aux harangues, du temps de Thucydide ? On ne sait. Il semble difficile d’admettre que lorsque Périclès ou Alcibiade étaient à la tribune, dans une circonstance grave, il ne se trouvât personne pour écrire au moins l’essentiel de leurs propos. Et pourtant ni les textes, ni même leur résumé, n’étaient conservés dans les archives de l’État, et ces archives, assez légères, se réduisaient dans les cités grecques à des documents diplomatiques et à des comptes financiers.

Peut-être touchons-nous là un des faits cruciaux de la culture grecque. Les Grecs ont agi sur l’humanité par leurs livres, et même la Grèce, à partir d’Alexandrie, n’a existé pleinement et authentiquement que pour l’homme des livres. Il y a une Grèce idéale qui a pour Acropole, depuis les Ptolémées, la Bibliothèque et le Musée. D’autre part, quand, en nous traînant sur ces deux béquilles de la Bibliothèque et du Musée, nous essayons d’atteindre le centre vivant de la Grèce à sa grande époque, nous voyons en elle tout le contraire d’une civilisation écrite. Les civilisations écrites nous les trouvons dans les Empires orientaux, et surtout dans l’Égypte, cette plaque tournante du monde ancien, et il est nécessaire que nous les y trouvions : l’unité d’un empire étendu ne peut se faire que par une bureaucratie, une écriture, une place grandissante attribuée à l’homme de l’administration, au scribe, à côté et bientôt au-dessus de l’homme de la conquête, du chef militaire. Dès qu’elle est conquise par lui l’Égypte conquiert son vainqueur, perse, grec, romain, en lui donnant