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Il n’arrive que très rarement à Thucydide de porter un jugement : les appréciations, les épithètes de son livre tiendraient en une demi-page, et pourtant ses protagonistes, Périclès, Cléon, Nicias, Alcibiade, Démosthène, Archidamas et Brasidas, dessinés au simple trait comme par un maître des vases à figures rouges, demeurent réels, vivants, posés comme chez un romancier par les faits, par la narration elle-même. Évidemment, il ne faut pas demander à ce dessin au trait le relief d’un Tacite ou d’un Saint-Simon. Ce relief, en nous détournant de la narration, en nous appesantissant sur un individu, romprait l’un des équilibres intérieurs qui font le ton de Thucydide.

La connaissance des hommes demeurant assez politique pour se fondre avec la texture du récit et ne comportant pas par conséquent la saillie de ces « portraits », qui sont le triomphe de notre xviie siècle et de nos historiens modernes, la connaissance des causes restera assez vivante et assez humaine pour s’unir avec les pensées et les paroles des hommes au moment où ils prennent les décisions qui ont donné son cours à l’histoire. De là les discours dont Hérodote ne fait qu’un emploi accidentel et que Thucydide le premier (peut-être sous l’influence de son maître Antiphon) attache à l’histoire comme une de ses pièces essentielles.

Les discours, aujourd’hui, ne nous paraissent plus cadrer avec l’histoire, parce qu’ils ne sont pas vrais. Et Thucydide nous prévient qu’aucun de ceux qu’il publie ne constitue une reproduction exacte. Il s’en est tenu au vraisemblable, en se rapprochant du vrai le plus pos-