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laquelle il semble que toute l’histoire grecque aboutisse ; et si, comme le dit Mallarmé, tout existait pour aboutir au livre, la guerre n’aurait été que l’intermédiaire nécessaire entre l’histoire et le livre de Thucydide. Si l’histoire d’Hérodote est pleine de l’inspiration delphique, celle de Thucydide paraît écrite dans l’idée d’Olympie. Il semble que le stade d’Olympie lui-même prépare tout à cette lutte suprême des deux athlètes frottés d’huile, Athènes et Lacédémone. Et plus tard l’auteur des Parallèles comprendra de même l’histoire des Grecs et celle des Romains comme des jeux dans un stade idéal pour la perfection du type humain. « Je voyais, dit Thucydide, les deux nations au faîte de leur puissance, et le reste des Grecs prenant parti pour l’un ou l’autre ou en formant le projet ». Tout se dispose ainsi pour une lice où la Destinée organise à Thucydide une place de spectateur privilégié. Cette lice est d’ailleurs une figure de la racine élémentaire du génie grec : l’opposition ou l’harmonie, la lutte ou l’accord de deux éléments, de deux modes, le dorien et l’ionien, qui font la vie d’Athènes, la vie de la Grèce, la vie du classicisme gréco-romain. L’histoire les dépose bruts, élémentaires et frais dans Thucydide, lorsque la poussière de la lutte retombe et laisse apparaître les puissances idéales de cette lutte, Lacédémone fournissant avec Brasidas cette statue du héros qui sera répétée avec quelques variantes dans Callicratidas, Agésilas, Épaminondas, et qui passera par Xénophon et Plutarque dans les musées des types humains, Athènes donnant le belvédère d’intelligence d’où est pensée la nature héroïque et politique.

Là est le premier aboutissement, la première fleur cristallisée de la vérité historique : la vérité de l’homme.