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pour un temps la querelle d’Achille et du roi des rois, la mort d’Hector et la soumission de Priam apaisent pour un temps la querelle d’Achille et de Troie. Une seule réalité : les passions de la nature humaine, et, ces passions une fois posées, posées aussi les deux formes intérieure et extérieure de la guerre, nourries l’une de l’autre et balancées l’une par l’autre, et commençant et se terminant sur le même thème. La guerre du Péloponèse est construite sur les mêmes rythmes et prise sous une figure analogue dans l’art de Thucydide. Le vieux procès hellénique, le conflit de la Grèce et de l’Orient, tel que l’ont connu Homère et Hérodote, est arrêté par un conflit intérieur, le duel d’Athènes et de Sparte. Dans Athènes la lutte contre Sparte est enrayée, la victoire compromise et empêchée par la lutte des partis, la bataille entre la démocratie impérialiste et inconstante et l’oligarchie pacifique et tortueuse. La colère d’Achille, qui amène Hector la flamme à la main sur les vaisseaux des Grecs, se retrouve, avec des causes et des effets et une nature pareils, dans la trahison d’Alcibiade, principe de la ruine d’Athènes. Ce n’est point là un hasard, mais bien les moments divers d’une même nature hellénique qui s’explicite dans la poésie et l’histoire sous des figures analogues. Comme les veines du marbre ébauchent dans la matière la forme de la statue, la « chose de toujours » est esquissée dans cette réalité pérenne, dans cette cité spirituelle dont Homère a bâti les temples et que l’histoire peuple de ses maisons, de ses marchés, de ses foules.

La réalité a fourni à Thucydide exactement le cas privilégié que le génie poétique avait su extraire de la guerre troyenne. De là sa joie d’intelligence devant la grandeur, l’importance et la signification de sa guerre, à