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constitue la ligne vivante de l’histoire. L’historien n’arrive pas plus au beau et au type, s’il les cherche avant tout et pour eux-mêmes, que l’homme, — selon l’observation banale — n’arrive au bonheur s’il cherche expressément le bonheur. Il ne saurait y avoir pour lui d’autre directive consciente et méthodique que la recherche du vrai.

Néanmoins, dans le principe même et la texture continue de l’histoire tels que les ont conçus après Thucydide tous les anciens, on discerne, comme les cotylédons dans la graine, l’idée de deux vérités, l’une plus orientée vers le fait, l’autre plus orientée vers le type, — deux ordres de l’histoire comme il y a deux ordres de l’architecture, et l’histoire de Thucydide formant comme l’Acropole d’Athènes la perfection de cette beauté sexuée. La première chez Thucydide s’exprime par les récits, et la seconde par les discours.

Le récit sobre, musclé, où chaque phrase porte un fait, repose sur une attention et un travail prodigieux. D’Hérodote à Thucydide la vraie critique historique est née. On se représente volontiers Hérodote après ses voyages écrivant son histoire à Delphes, centre de la sagesse grecque, et à Athènes, centre du mouvement grec, arrondissant en charmant langage les récits artistes, ingénieux et bien composés qu’on lui apporte, ainsi que Froissart à la cour de Richard II et de Gaston Phébus. Thucydide est plus difficile. Comme Bacon pour mettre la nature à la question, il a dû se faire un art d’interroger les témoins.

Le tableau de la vie intérieure d’Athènes dans les