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légié, un domaine unique, un plateau idéal de l’histoire, tant par rapport au passé que par rapport à l’avenir. C’est bien en pensant au livre d’Hérodote et en revendiquant pour le sien un intérêt majeur, qu’il fait le parallèle des guerres médiques et de la guerre du Péloponèse : sa guerre à lui a été bien plus longue, et surtout elle a accumulé bien plus de désastres, de proscriptions, et de massacres. Elle a eu des tremblements de terre, des éclipses de soleil, des sécheresses, des famines, — et ce privilège, la grande peste (I, 23). Et Thucydide espère bien que cette guerre et ce livre qui l’expose ne seront, par aucune guerre ni aucun livre futurs, dépossédés de ce primat. Le jeu de la nature humaine assurera le retour d’événements plus ou moins semblables (I, 22). « Cette guerre, bien que les hommes regardent toujours comme la plus grande celle où ils sont engagés, puis, lorsqu’elle est finie, reportent leur admiration sur celles d’autrefois, devra cependant paraître, à ceux qui considéreront les faits en eux-mêmes, la plus importante de toutes. » (I, 21). Elle figure un point de perfection guerrière et politique, digne d’être représentée dans un point de perfection historique. Elle devait être aux neuf Muses d’Hérodote ce qu’était l’Acropole de Périclès aux autres sanctuaires de la Grèce. L’idée d’un achèvement, d’une sommation définitive de certaines valeurs humaines circulait alors comme une essence normale et nécessaire de la culture athénienne.

Peut-être une phrase de Thucydide nous laisse-t-elle apparaître ce qui planta chez lui la racine de cette foi en l’éternité. Il fut atteint de la peste (II, 48) et il en guérit. Malade, il garda intactes sa lucidité, sa faculté d’observation, sa réflexion tranquille. Au contraire : « Ce qu’il y avait de plus terrible c’était le découragement de ceux