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festent avec toute leur pureté dans son histoire hellénique mieux que dans son histoire athénienne. Il haïssait Cléon, mais non Sparte. Et cependant la querelle civique dépasse dans sa haine de Cléon la querelle privée : il haïssait dans Cléon la figure belliqueuse et guerrière d’Athènes. Sa facile impartialité historique continue une tradition de sa famille. Plutarque, dans la Vie de Cimon, nous dit que celui-ci voyait en Athènes et Lacédémone deux puissances également nécessaires à l’ordre, à la santé, à l’équilibre de la Grèce.

En regardant bien, on lui découvre un autre ennemi, Hérodote. Il ne le nomme jamais, mais il introduit dans le premier livre de son histoire des dissertations que son sujet ne réclame pas expressément, afin de prendre Hérodote en faute et d’opposer à sa version erronée le récit exact. Les anciens aimaient à placer le jeune Thucydide parmi les auditeurs d’Hérodote lorsque l’Ionien, sous le portique du temple d’Héra, lut aux jeux olympiques des fragments de son histoire, et à l’y faire pleurer d’admiration. Ils avaient raison : il appartient à la postérité de ranger les grands hommes en des groupes de ce genre, et d’établir par delà les haines qui les retirèrent en eux cet ordre de parenté idéale. Mais Thucydide paraît supporter impatiemment la pensée de n’être venu que le second. On songe à Euripide, à la scène d’Électre où il introduit sa critique d’Eschyle. L’auteur de la Guerre du Péloponèse aimerait à mettre à son livre une inscription comme celle de l’Esprit des Lois, prolem sine matre creatam, et à rendre plus nue son orgueilleuse solitude de Skaptè-Hylè.

Le κτῆμα ἐς ἀεί indiquerait même, si on le sollicitait à l’excès, une tendance à faire de la guerre du Péloponèse, sujet de l’histoire de Thucydide, un cas privi-