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dramatiques qui ne sont pas rares chez Thucydide, la mort dans la même bataille des deux généraux, l’Achille de Sparte et le Thersite d’Athènes. Dans les deux cas l’ennemi politique et privé de Thucydide a fait les frais.

Il était d’ailleurs naturel que le type politique de Cléon répugnât à un homme de mesure et d’ordre. C’est un violent, mais un patriote. Sa figure, à travers Thucydide et Aristophane, apparaît comme analogue à celle de nos protagonistes révolutionnaires. Par son physique robuste, ses poumons sonores et son âme audacieuse, il rappelle un Danton. Comme Danton il est à Athènes le chef du parti de la guerre à outrance, le leader du « jusqu’au bout ». C’est lui qui fait rejeter toutes les propositions de paix de Lacédémone, parce qu’il croit que la guerre ne peut se terminer que par la victoire décisive d’un des deux adversaires. Aussi continue-t-il à donner à cette guerre son caractère impitoyable, lui qui fait prendre aux Athéniens la décision de massacrer la population de Mitylène. Aristophane et Thucydide ne se rangent point dans ce parti de la guerre à outrance. Pour l’auteur des Acharniens et de la Paix la cause est entendue, et les raisons qu’a Dicéopolis de ne pas aimer Cléon sont visibles. Mais le cas de Thucydide, plus complexe, ressemble par certains traits à celui d’Aristophane.

Thucydide appartenait à la famille de Miltiade et de Cimon, c’est-à-dire à une famille d’eupatrides, qui avait été à la tête du parti aristocratique et qui était devenue par ses relations en Thrace, depuis Miltiade, une des plus riches d’Athènes. Cette famille avait une tradition politique : à l’intérieur elle soutenait les intérêts de l’aristocratie, et comme dans toutes les cités grecques l’entente avec Sparte passait au premier rang de ces