Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

bien écarter de sa mémoire le ridicule dont le charge Thucydide.

C’est l’année suivante que Brasidas s’empare d’Amphipolis et que Thucydide est condamné. Deux ans après, Cléon se fait envoyer en Thrace contre Brasidas. Il a demandé lui-même ce commandement (V, 2), et ce démagogue pourrait dire comme Brasidas : « Je montrerai que si je sais exciter les autres je ne suis pas moins capable d’agir. » (V, 9). Thucydide (V, 2 et 3) le montre dirigeant les opérations contre Torone avec la même énergie et le même succès que naguère contre Sphactérie. Mais le dessein de l’expédition est de reprendre Amphipolis. Cléon, cantonné à Éïon, attend les auxiliaires macédoniens et thraces qu’il a convoqués. Il ne veut attaquer la ville qu’avec la supériorité du nombre. Brasidas, qui a tous les renforts sous la main, voudrait que Cléon l’attaquât dès maintenant, et Cléon se laisse forcer la main par les troupes qui s’ennuient de leur immobilité. Cléon, dans l’intention d’attaquer, approche d’Amphipolis pour observer la place. Surpris par Brasidas il organise maladroitement sa retraite, et se fait tuer. Thucydide affirme sans doute gratuitement que dès le début de l’action il n’avait cherché qu’à s’enfuir, mais fut atteint et tué par un peltaste myrcinien.

L’accusation de Thucydide est d’autant moins vraisemblable que dans toute sa carrière nous voyons Cléon représenter au contraire l’énergie, et même la violence. Mais il s’agissait, sur ce même théâtre d’Amphipolis et d’Éïon, où avait trébuché la fortune de Thucydide, de mettre en parallèle la conduite de l’exilé et celle de l’accusateur, placés avec le même commandement dans le même pays et devant le même Brasidas. Il s’agissait peut-être aussi d’opposer, par une de ces préoccupations