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rect employé par Thucydide reproduisait exactement les termes de l’alternative posée par Cléon à la tribune, j’imaginerais fort bien la moitié de l’assistance entendant d’une façon et l’autre moitié de l’autre, ou encore Cléon passant tout naturellement d’une alternative à l’autre, et, soucieux avant tout de parler en homme qui est un peu là, (il vient de reprocher aux stratèges de n’être pas des hommes, εἰ ἄνδρες εἶεν οἱ στρατηγοί) il excite aussi bien l’enthousiasme du peuple en promettant de tuer les Lacédémoniens qu’en jurant qu’il se fera tuer lui-même pour les avoir. Les deux effets oratoires sont interchangeables

Mais en somme le texte de Thucydide ne permet pas de croire ce que lui-même en conclut, que le succès de Cléon n’ait été que l’effet d’un bonheur insolent. C’est de la même façon que Saint-Simon explique les victoires de Villars, qu’il déteste, et nous savons ce qu’il en faut penser. Cléon, de sa tribune même d’Athènes, s’est parfaitement rendu compte de ce qui paralysait à Sphactérie l’activité des Athéniens. Le siège était un blocus, fait par des hoplites athéniens, d’un ennemi dont on ne savait pas empêcher le ravitaillement. Ces hoplites, incapables d’attaquer efficacement des gens bien retranchés, ne pouvaient marcher que derrière une vague de troupes légères. Si Cléon déclare qu’il n’emmènera pas d’Athéniens (qui ne servaient que comme hoplites), c’est qu’il n’a pas besoin d’hoplites. Il n’emmènera que des étrangers, auxiliaires légèrement armés, et surtout archers. Il a donc pris sur-le-champ la décision qui (lisez le récit de la bataille) va amener la victoire. S’il promet une solution dans vingt jours, ce n’est pas extravagance ridicule comme le dit Thucydide ; c’est que la belle