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Employée par nous avec plus ou moins de science, d’adresse et d’art, l’idée du vrai telle que Thucydide l’a exposée, aussi pure que l’idée du bien dans la philosophie platonicienne et que l’Homme qui, à l’angle du fronton du Parthénon, s’éveille devant le soleil, cette idée demeure le schéma directeur de la recherche historique, comme la géométrie grecque figure le schéma de notre activité dans l’espace. Quel historien de la grande guerre se soumettra à la discipline de ce texte ?

« Pour ce qui est des actes accomplis pendant la guerre, je n’ai pas cru devoir en écrire d’après les récits du premier venu, ni en suivant ma propre impression ; mais j’en ai parlé soit d’après ce que j’avais vu moi-même, soit après enquête aussi attentive que possible sur le témoignage d’autrui. Tâche bien difficile, parce que de chaque côté les récits des témoins oculaires étaient commandés non par les faits eux-mêmes, mais par la partialité des deux camps, ou par des caprices de mémoire. » (I, 22).

La vocation historique de Thucydide est de l’action empêchée au même titre que la vocation mystique de Fénelon et de Madame Guyon est de l’amour empêché. Bien qu’il nous dise s’être mis au travail dès le début de la guerre, la sentence de mort ou d’exil, prononcée contre lui à l’occasion de sa campagne malheureuse contre Brasidas, et peut-être à l’instigation de Cléon, l’a conduit sans doute à prendre comme tâche essentielle de sa vie la suite d’Hérodote. Ces trois hommes, Brasidas, Cléon, Hérodote, ont déterminé sa courbe, et son attitude vis-à-vis de chacun d’eux nous fournit nos meil-