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L’accident qui coupe brusquement sa destinée politique, qui le confine dans l’exil et la retraite et le concentre en réflexions et en écrits, n’altère pas (sauf probablement en ce qui concerne Cléon) la tranquillité de son jugement. Rien à peu près de ces regrets, désillusion, rage, mélancolie, rancune, haine que Gourmont croit voir dans les traités sur l’amour, et qu’il n’y a aucune raison de principe pour que nous trouvions dans les traités de l’ordre politique et historique, mais que tout de même en réalité nous y rencontrons quelquefois et même assez souvent. C’est ainsi que Platon, dans la République, n’aborde pas la politique avec la même joie lumineuse et profonde qu’il apportait dans le Phèdre et le Banquet aux choses de l’amour. Thucydide a écrit son histoire du même fonds dont il aurait agi s’il était resté général et homme politique, de même que Racine ou Stendhal (je ne dis pas Rousseau) écrivaient de l’amour ou sur l’amour du même fonds dont ils aimaient.

On trouvera peut-être un peu artificielle cette insistance à mettre sur le même plan deux questions fort différentes et à impliquer Thucydide dans une comparaison inhabituelle. C’était pourtant une coutume assez juste de notre psychologie classique, après Montaigne et l’auteur du Discours sur les passions de l’Amour, que de considérer en fonction l’un de l’autre l’amour et l’ambition, et Stendhal lui-même, élève des idéologues, n’y a pas manqué. Selon Montaigne, l’amour et l’ambition s’excluent, et quand ils sont en lutte dans une même conscience, l’un et l’autre à leur plus haut point, la seconde l’emporte toujours. Pascal les aimerait alternés, une belle vie devant commencer par l’amour et finir par l’ambition. Stendhal a montré souvent que la