Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pensée sur l’action, ne sauraient se dissocier chez l’homme complet d’amour ni chez l’homme complet d’action.

Il n’est pas plus exact, et pour les mêmes raisons, de dire avec Gourmont : « De ce fait qu’il faut être au moins un peu malade pour écrire sur l’amour, il s’ensuit que tous les livres de ce genre sont des livres tristes, cyniques ou désenchantés. Les traités de l’amour sont rédigés avec des regrets, des désillusions, de la rage, de la mélancolie, de la rancune, de la haine, jamais de l’amour. » Mais pas du tout. Le signalement de Gourmont s’applique tout juste au livre de Senancour, qui était en effet malade et pessimiste. Il ne s’étend ni au Phèdre ni au Banquet qui sont deux traités de l’amour, ni à Stendhal, pour qui l’amour est bien la seule chose délicieuse de la vie, ni à la Physiologie de M. Bourget, ni aux deux livres sur l’Amour de M. Mauclair, ni à l’Essai sur l’Amour de M. Montfort, ni à la plupart des autres ouvrages de ce genre. « Tristes, cyniques, désenchantés ». Il faut bien qu’il y ait dans de tels livres mélancolie, goût de la volupté, et les alternatives d’enchantement et de désenchantement, temps faible et temps fort de ce rythme poétique ; mais Gourmont, qui écrit dans ces lignes un traité des traités sur l’amour a tout l’air de projeter lui-même sur eux cette tristesse qu’il leur reproche ensuite de projeter sur l’amour : il l’y retrouve parce qu’il l’y a mise.

Je ne croyais pas que mon détour irait si loin, mais enfin je reviens à Thucydide. Thucydide est évidemment une tête politique puissante, équilibrée, complète.