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y faut donc la présence du génie. Il y faut des hommes.

Le passé et le présent nous font toucher la loi du style nationaliste. Un Fichte en Allemagne, un Barrès et un Maurras en France, attestent qu’un nationalisme parvient à la plénitude de son style mâle sous deux conditions. Il faut d’abord qu’il s’adresse à une nation blessée ou menacée, pour la défense de laquelle tout sera justifié d’avance : n’est-ce pas la prospérité de l’Angleterre qui a donné à son nationalisme cette platitude béate étalée chez Macaulay ? Il faut ensuite qu’il naisse d’une nature violemment individualiste, qui aura enfanté ce nationalisme dans l’atmosphère d’un drame intérieur et dans l’acte d’une tension. Ce n’est pas un hasard si le nationalisme vivant de Barrès sort du culte du Moi, comme le nationalisme vivant de Fichte sortait de la philosophie du Moi.

M. Maurras a appelé l’Église catholique la seule Internationale qui tienne. Il y a là un élément de vérité. Tout au moins est-elle une Internationale qui a tenu pendant une longue période, jusqu’au xvie siècle, jusqu’aux Églises nationales et aux nationalismes religieux. Elle est la dépositaire d’un style international archaïque, qu’elle n’a point mis en valeur pendant la guerre. D’une manière générale, tout style international de poids et de durée n’a pas revêtu jusqu’ici d’autre forme que religieuse. L’Internationale socialiste et ouvrière est et sera probablement une grande force. Mais son style humain paraît d’une grande pauvreté. Le titre du livre de Marx : Philosophie de la Misère, est plus vrai qu’il ne pense. Israël arrivera-t-il à tirer de son âme religieuse héréditaire un style pour l’internationalisme, et saura-t-il, comme l’a rêvé Darmesteter, lui infuser son prophétisme ?