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Le jeu des passions humaines recommencera comme au lendemain de la guerre du Péloponèse, et pas très différent. Durant tout le ive siècle, dans les cités grecques, nationalisme, individualisme, panhellénisme s’exaspèrent également en des formes aiguës, comme des vases communicants où le niveau de l’un serait réglé par les niveaux des autres. Le xxe siècle vivra probablement d’après ce type. Toute la vie morale se trouvera sinon transformée, du moins haussée à un ton et à des valeurs tragiques. Il se peut que (le contact avec la sagesse orientale aidant) nous allions vers un siècle d’invention morale succédant à un siècle d’invention matérielle, — sans que celle-ci en soit d’ailleurs nécessairement gênée.

Que se passera-t-il alors dans l’âme des individus ? Les idées toutes faites, les pentes faciles, naturelles, inconscientes de l’esprit deviendront sans doute insuffisantes et de peu d’usage pour résoudre les problèmes nouveaux. Nationalisme, internationalisme, individualisme se heurtent aujourd’hui dans des impasses, tourbillonnent dans des impossibilités, sont pris à des contradictions qui rendront nécessaires de vigoureuses décisions et de lucides examens de conscience. Tous trois auront à lutter contre les esprits de paresse, contre le poids d’automatisme et de matière qui les mène d’eux-mêmes à leurs formes mortes.

Il y a une forme morte du nationalisme, qu’il atteint lorsqu’il prétend se répandre sur des terrains qui ne lui appartiennent pas, où il apparaît dépaysé et ridicule ; lorsqu’il prétend suffire par l’intensité du sentiment patriotique à toutes les fonctions de l’esprit. C’est cette forme morte qu’il revêt lorsqu’il veut devenir une religion, intéresser l’au-delà, le divin, à notre morcellement