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lois de la politique et de l’histoire, le conflit de ces erreurs et de ces lois, de ces tempéraments et de ces nécessités, appelleront sur ces hommes, plus tard, un pinceau de lumière particulier, feront d’eux l’occasion des plus curieux problèmes. Comme tout monde qui se transmue, ce temps apparaîtra non avec la figure harmonieuse et uniforme de plateau, mais avec la forme dentelée qui fait saillir sur l’horizon des individualités, chaîne des Alpes plutôt que Jura. Quand, les yeux fermés, on veut réaliser l’image la plus exacte de la guerre, s’identifier avec elle, comme un sculpteur avec les masses et les poussées du corps humain, c’est à cet intérieur psychologique qu’il faut recourir, à ces valeurs d’hommes, à ces images d’individus, à la ligne de vie unique qui réunit, comme celles d’une main idéale, un poilu bleu horizon à un Clemenceau et à un Foch, un fantassin feldgrau à un Ludendorf. Une ligne pareille, il me semble que, Thucydide en main, et aussi Euripide et Aristophane qui en donnent la chronique vivante, on la voit se dessiner et vivre, avec le recul de l’histoire, dans la guerre du Péloponèse.

Mais peut-être, par delà cet intérieur psychologique, la méditation nous en fait-elle découvrir un autre plus profond encore : nous le voyons sous la forme d’un problème moral élémentaire et omniprésent, pesant et obscur, dont il faudrait chercher les analogues dans les essences de la tragédie, dans une Orestie ou un Œdipe. N’oublions pas d’ailleurs que la conscience tragique, d’Eschyle à Euripide, est liée à l’histoire d’Athènes comme la conscience historique d’un Thucydide.